L’Orient-le Jour – MARCH LANCE LA RÉCONCILIATION PAR LE BATIMENT

L’Orient Le Jour

Le chef du gouvernement a affirmé qu’il œuvrera auprès de l’Union européenne pour faire figurer le projet Bedco parmi les programmes soutenus par la conférence de Paris.

Favoriser aux jeunes marginalisés de Tripoli des opportunités de travail dans le bâtiment en vue de leur faire reconstruire une communauté apaisée et à l’écart des conflits politiques et religieux, tel est l’objectif du projet de Bab el-Dahab Construction (Bedco), lancé hier par l’ONG March au Grand Sérail, sous le patronage et en présence du chef du gouvernement Saad Hariri.

Soutenue par l’ambassade du Royaume-Uni, cette démarche sociale de l’association présidée par Léa Baroudi s’inscrit dans le sillage de l’initiative réalisée par l’ONG en décembre 2016 en réhabilitant d’anciens combattants sunnites et alaouites de Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen, au moyen de leur implication dans la remise en état de plus de 300 magasins détruits par la guerre sur les lignes de démarcation.

C’est en présence de jeunes gens et jeunes filles des deux régions et devant une nombreuse assistance, dont l’ambassadeur britannique Chris Rampling, la ministre de l’Intérieur Raya el-Hassan, les députés Sami Fatfat et Dima Jamali, les anciens ministres Ghattas Khoury, Ziyad Baroud et Nicolas

Nahas, et l’ancien député Ahmad Fatfat, que Léa Baroudi a remercié MM. Rampling et Hariri pour leur appui à ce projet propre à « assurer un meilleur avenir aux jeunes défavorisés à travers des offres de travail dans le bâtiment, en même temps que leur faire assumer un rôle et une responsabilité à l’égard de la société et du pays ». Précisant que

Bedco est une entreprise sociale à but non lucratif, créée dans le but de promouvoir la résolution des conflits à travers le développement socio-économique, la présidente de March a affirmé que « les bénéfices financeront la reconstruction d’autres quartiers marginalisés », et exprimé sa volonté de contribuer à « remplacer le passé douloureux par un avenir d’espoir ».

Deux vidéos ont ensuite été diffusées, dans lesquelles de jeunes Tripolitains ont fait part de leur expérience avec l’association March, affirmant que celle-ci est parvenue à « changer la mentalité d’élimination de l’autre » en les encourageant à « réparer ensemble ce qui a été détruit ». Les images ont montré des séquences de sessions de formation au

cours desquelles plus de 300 jeunes ont été initiés à diverses techniques de construction : les garçons au plâtrage, à la peinture, à l’électricité et au travail du fer ; et les femmes au graphisme et au marketing.

« Se débarrasser de l’esprit de rivalité »

Dans le discours qu’il a prononcé pour l’occasion, M. Hariri a salué l’initiative, estimant que « de telles actions de qualité constituent des éléments de vraie réconciliation ». Il a par ailleurs souhaité que « Bedco fasse partie des projets soutenus par le processus CEDRE », soulignant qu’il œuvrera en ce sens auprès de l’Union européenne. Le chef du gouvernement s’est ensuite adressé aux jeunes convertis, notant que la démarche de March « a contribué à (les) faire sortir de l’histoire de haine qu’on a voulu semer en (eux) ». Et de déplorer au passage que « des responsables politiques n’ont pu à ce jour se débarrasser eux-mêmes de l’esprit de rivalité qui a détruit le pays ».

Quant à M. Rampling, il s’est félicité de ce que Bedco « est parti d’une idée pour devenir

une réalité », exprimant sa « hâte » de voir les résultats du projet. L’ambassadeur britannique a déclaré dans ce cadre que son pays « s’est donné pour mission de soutenir de tels projets, qui ont un impact sur la vie des individus », estimant qu’« ils donnent un espoir aux gens tout en contribuant au développement économique de leur pays ».

L’événement a été en outre marqué par une chanson interprétée par Corinne Metni, dans laquelle la soprano exprime ce en quoi l’association March croit, à savoir « l’amour et la paix ». « Cessez toutes les querelles et recommencez une nouvelle vie sans démons et sans armes », a-t-elle chanté.

Deux jeunes gens ont par ailleurs interprété un morceau de rap dans lequel ils racontent comment leur vie s’est transformée grâce à l’association March, qui a cru en leurs capacités et créé en eux un sentiment d’appartenance à une société unifiée.

Saad Hariri et Léa Baroudi ont ensuite posé pour des photos, entourés des anciens jeunes combattants. L’un d’eux, Chadi Youssef, de Bab el-Tebbané, affirme à L’Orient-Le Jour qu’il a grandi avec « la haine » des habitants de Jabal Mohsen que lui ont transmise ses parents. « Quand par la suite les événements de 2008 ont éclaté, j’ai combattu avec rage alors que je n’avais que 19 ans », raconte-t-il, se souvenant que lorsque le plan de sécurité (2014) a été établi, son moral « était au plus bas », et qu’il avait le sentiment que sa vie « s’était arrêtée ». « À présent, grâce à l’initiative de March, je pense fonder une famille et

construire un logement », déclare-t-il, notant qu’il offre désormais ses services d’électricien tant dans son quartier qu’à Jabal Mohsen.

À côté de lui, un alaouite de 25 ans, Jaafar Khaddouge, affirme également qu’avant la démarche de l’ONG, il n’osait pas sortir de son quartier, mais que « Mme Baroudi s’est déployée pour nous convaincre de l’inanité de la guerre et de la haine, nous poussant à travailler dans le secteur jadis ennemi et à fréquenter pendant l’heure de pause le café Kahwatouna, qu’elle a ouvert dans la zone située entre les deux quartiers ».

Un café qui, selon certaines informations, devrait bientôt être complété à l’étage supérieur d’un « bed and breakfast », comme pour montrer aux visiteurs que la réconciliation est bien scellée.